mercredi 20 juin 2012

27 mars.

On est dans la tente. Pas beaucoup dormi… rafales énormes, et pluie.

Il y a 1692 trous sur un tapis de sol comme le miens. On a compté.


28 mars.

      Je suis de nouveau dans la tente. On a passé la journée d’hier à attendre, c’est pour ça que je n’ai pas parlé. Alexandre était malade, il n’avait quasiment pas dormi de la nuit, et moi je faisais des rêves bizarres entre chaque moment où on se réveillait. Il est sorti, on a discuté un peu, … François dormait toujours à côté, je ne sais pas comment il faisait.

       Grand rassemblement à midi pour faire une sorte de point après s’être reposés le matin… on en a déduit qu’on allait ou partir, ou rester là… partir, mais pas aller loin, … finalement, François et moi sommes allés voir jusqu’au Rio Polone. Les pierres étaient glissantes, pas autant qu’on l’aurait cru,… mais avec les sacs c’est toujours dur. Donc on est revenus ; et resté là. On a pu essorer la totalité de nos épaisseurs de vêtements, gore tex comprise…
        On a joué un peu aux cartes, au ‘trou du cul’, au fantasy étrange, et on a compté les trous des isolants,… et même des deux isolants conjugués,… et même des monticules et monticules inversés de la totalité de chaque face des deux isolants. On s’est demandé si on allait en arriver à dénombrer les gouttes ou les petits carreaux de la toile de tente, … mais finalement est arrivée l’heure d’aller se coucher, au bout d’un moment.
        Le repas s’est fait dans nos tentes respectives (toujours trois dans chaque). Maintenant on s’est un peu reposé, quand même, en se réveillant pas mal aussi. François a moins dormi cette fois, mais il a fait la marmotte presque toute la journée d’hier (incroyable quand même).

       Le ciel va encore faire quelque chose d’incroyable…. ! Le temps s’est pas mal dégagé, même s’il y a toujours beaucoup de  vent. Il a plut beaucoup cette nuit et la rivière a gonflé, les endroits où l’on prenait des photos sont maintenant immergés. C’est un peu le Mordor, dehors. Il a neigé, pas ici mais un peu plus haut. Le vent a bougé des pierres pendant la nuit et enlevé les sardines qu’on avait plantées. C’est assez violent quand même. En fait, la tente n’est plus accrochée à grand-chose, là. Cette nuit, une impression d’être dans une turbine infernale a perduré. Entre le bruit colossal du torrent qui s’intensifie, la pluie, les rafales et les séracs qui roulent au dessus, c’était assez terrible.
On a failli être inondé, aussi. Les pelles à neige ont enfin pris tout leur sens. Du côté de Xavier, ils ont du reboucher une sorte de marre qui s’étalait autour de la tente, et on a creusé un conduit autour de la notre, ainsi qu’un bassin pour que toute l’eau déviée ne nous revienne pas dessus. Pas mal de choses commençaient à être trempées, même les sacs qu’on avait surélevés dans les absides grâces à des cailloux. L’imperméabilité de la tente a été pour la première fois mise à rude épreuve…. Il commençait à y avoir un bout de flaque qui s’infiltrait dedans par un coin à cause du contact des cailloux.

        Il est 11h30. Le dictaphone est mouillé (comme tout le reste). On vient de finir de manger, après avoir pique niqué juste avant Piedra del Fraile, là ou il y a un gars qui doit nous faire payer  75 pesos et qui n’a pas du nous voir à l’aller. Il y a une sorte de nuage qui nous court après, mais il a l’air un peu coincé sur le col Marconi, le cordon Marconi, le glacier Marconi, et le refuge Marconi, surement. Le Fitz Roy fume, il est bien plâtré en haut et en bas… mais pas au milieu.




         On a craint de se faire inonder ce matin, de voir la tente flotter et les poissons passer, et tout ça ; mais finalement ça s’est assez bien passé. J’ai rêvé plein de choses différentes, donc une fois qu’on était dans la tente, qu’on jouait, et que je rêvais qu’on allait être bloqués là, longtemps, à la playita. A jamais, peut être. J’ai imaginé pas mal de choses différentes en dormant, mais toujours un peu dans le même registre ; on était bloqué, ou on était dans un refuge en montagne et on ne pouvait pas sortir parce qu’il pleuvait, il y avait du vent, ou un ras de marrée, ou qu’on devait traverser une rivière énorme en chaussettes, avec les nuages qui défilaient à tout allure … tout se ressemblait un peu, ça aurait pu arriver.
On a passé le Rio Polone qui n’était pas si terrible finalement. Maintenant je viens de prendre la pulka, encore 2kg de plus, ça va être assez abstrait, mais je pense  que ça ira pas mal, il n’y a plus que du plat et de la forêt … et .. du vent. Mais il nous pousse dans le bon sens, souvent.


         Je traine dans la forêt. Je viens de croiser Manue, je ne m’y attendais pas. J’ai trop chaud, mais si j’enlève ma veste, je vais prendre tellement de retard que … bof. J’ai aussi soif mais j’avais juste rempli la thermos de thé, et on l’a fini tout à l’heure… c’est pas malin. Les garçons avancent vraiment vite. Ils traversent cette forêt superbe aux énormes arbres croulants, touffes de lichen et prairies moussues, squelettes d’arbres qui prennent des formes de visages ou d’animaux (j’ai cru voir une tête de loup dans un bout de bois) à une vitesse impressionnante (compte tenu des charges, toujours). Les arbres bougent, par au dessus, mais ils arrivent à retenir la force du vent. Il fait vraiment chaud. Encore plus avec la pulka. C’est pas simple. Je suis un peu … lente, je trouve. Je vois toujours des visages dans les montagnes. Des bêtes cornues, des regards… j’ai aperçu le profil d’un être énorme inconnu, assez terrifiant, même s’il n’avait pas l’air méchant… il était vraiment grand ! Des centaines de mètres de haut, sur une des faces…







          On a marché un peu en discutant avec Manue, c’était sympa …. Les garçons sont loin devant. C’est bien taré là … enfin complètement…. On est arrivé dans la partie de la forêt en transition, partout des touffes rouges, des feuilles jaunes, des arbres morts, les branches complètement torturées qui forment des méandres griffues…. Les bois sont souvent désaturés par en dessous, avec une sorte de couche de couleur vive à certains endroits des branches au dessus. Le ciel est mitigé, gris et bleu, le vent reste toujours accroché aux branches du dessus. On est toujours entrain d’avancer  vers le rio Electrico mais. On n’y arrive pas. J’ai une cheville un peu louche, mais ça semble aller encore bien, tant que la chaussure maintient le tout pour ne pas que ça se décroche… La vue est vraiment magique, avec des contrastes de nuages très sombres et le soleil qui sort à certains endroits dans des rideaux de pluie, devant des monticules d’arbres multicolores dans des teintes automnales vraiment très belles… On peut aussi voir le dégradé des forêts, du vert en bas au rouge en haut, sur des pierres rose pâle-brunâtres, … des crêtes dentelées illuminées à travers le rideau de pluie. Derrière nous, le Fitz Roy est dans les nuages… Le cirque glacière reste enfermé dans l’étreinte des nuées sombres… plus près, la montagne rouge et sa devanture ocre, surmonté de son glacier qui ressemble un peu à une pointe de crème chantilly. De l’autre côté, une vallée prend des teintes magiques … féérique…  La muraille au dessus est saupoudrée de neige, on dirait un château fort en ruines avec de la neige qui s’envole. Tout en bas ; une sorte de front de moraine couvert d’arbres d’une multitude de couleurs différentes éclairés par le soleil alors que les monts au dessus ne le sont que partiellement. Au fond, l’endroit d’où on vient, le col Marconi et toutes les falaises obscures grappillent quelques taches de lumière à travers la pluie. Tout apparait en transparence, à des niveaux divers de transparence embrumée, jusqu’à ce qu’on ne distingue plus rien.

         14h05. On a fait une énième pause. Le paysage est de plus en plus sombre et inquiétant, mais toujours fantastique. On va essayer de choper un bus quelconque pour rentrer à El Chalten sans marcher 18km en plus.

          14h15. Je délire un peu dans la forêt… c’est touffu et plein de couleurs, j’adore ça… mais je ne m’arrête pas. Le paysage est totalement génial derrière. J’ai croisé les autres arrêtés quelque part au bord d’un ruisseau… on a essayé de calculer l’heure d’arrivée du bus, … selon Xavier 14h30, selon moi 15h je crois …. Je marche dans ce sable à la consistance dont j’ai horreur… en tout cas quand j’ai un sac. On a l’impression de ne pas avancer là-dessus. Mais je suis contente de l’avoir retrouvé parce que ça veut dire que l’arrivée est proche… on a croisé une vache bien coiffée sous un arbre…..
Ah tiens, François est devant, avec sa pulka –parachute … la mienne aussi doit un peu faire ça … sacré frein, avec ce vent qui souffle maintenant dans le mauvais sens…
Toutes les montagnes prennent des formes étranges dans ma tête. … le volcan, le monstre, le château avec ses créneaux dentelés,…Je n’ai toujours pas réussi à faire une photo, mais bon. Je crois que François en a eu marre, d’attendre tout le monde, on s’est dit qu’on allait finir ensemble, mais on n'y arrive pas, on se rassemble toutes les 5 minutes.
          Ah je crois qu’on arrive au pont sur le Rio Electrico.. Ce serait bien parce que sinon je crois qu’on va tous se retrouver dans un état vraiment étrange, là …comme si on avait bu une bouteille, ou je ne sais quoi, c’est spécial, vraiment bizarre… et puis y’a des lenticulaires qui se forment au dessus, on dirait des ovnis… des ovnis étirés….. Vers le Fitz Roy. D’un côté il n’y pas de Fitz Roy. Le Fitz Roy a eu peur, il a essayé de s’enfuir… ou alors il y a une tempête qui l’a avalé. Je ne sais pas trop laquelle des options choisir … Bon euh je vais arrêter de parler, je crois, hein.



Aucun commentaire: