jeudi 28 juin 2012

2 avril.

            // C’était enfin fini. Plus de fac, plus d’exams, de conneries comme ça ; pour le moment. J’étais heureuse. Il faisait presque beau, quelques nuages se baladaient  dans un ciel bleu azur. J’étais en voiture, je ne sais pas avec qui. On roulait entre des collines herbeuses, dont les graminées ployaient sous le vent.
            Personne. Juste la route et des étendues sans fin. Je voulais aller flâner, sans rien avoir à faire. Quelques photos, peut être… ou même pas. On s’arrêtait au milieu de nulle part et je sortais courir avec le vent. On voulait aller à une ruine. Un vieux château croulant sur un monticule dominant. Avec une vue sur une étendue d’eau splendide. J’ai grimpé sur les murs de pierre grise de l’ancien monument. Sensation de liberté.
            On est repartis, je voulais voir pleins d’endroits, tellement de choses. Un assemblage de monolithes perdus dans une contrée herbeuse. Joli contraste du gris et vert mouvant de l’herbe ; avec le ciel qui se couvrait doucement. Puis la mer. Je suis tellement allée en montagne, maintenant, l’océan. Je devais rejoindre le groupe. Je me réjouissais. Je me suis assise sur un muret de pierre, sous les collines et surplombant des vagues turquoises infinies surmontées d’écume blanche. Avec des rayons de soleil qui donnaient une transparence et une couleur incroyable. Vraiment beau. Je réfléchissais à tout ce que j’avais encore à faire.
            Une dame assez âgée, une voyante, s’est avancée. Elle m’a demandé le plus naturellement du monde si je savais que mon chemin ici allait bientôt s’achever. Je n’étais qu’à moitié surprise. Oui, je le savais, depuis longtemps… mais je ne pensais pas si tôt… ! Maintenant, c’est dommage. Inéluctable, mais regrettable. Elle m’a dit qu’elle était désolée, de me l’annoncer, et que ça se produise. Elle n’y pouvait rien. C’était comme ça. Ca commençait à m’effrayer. Un peu.
            J’ai regardé autour de moi. Les collines, le château. Un bâtiment au loin. L’herbe. Un vendeur de glaces, quelque part sur la plage. Je suis descendue du muret et ai avancé vers l’eau. Un petit sentier y menait. Les vagues étaient magnifiques. Emeraude, dégradé vers un bleu profond, crête blanche. J’ai marché jusqu’à l’eau. Me baigner dans les vagues faisait partie de ce que je voulais encore faire. J’ai avancé. Jusqu’à la taille. Des successions de montagnes liquides venaient se briser sur mes hanches.
            Une déflagration est venue de la plage. La balle de fusil m’a traversé le torse. J’ai vu le sang tacher ma chemise, et j’ai senti que je chancelais. J’ai ordonné à tous mes muscles de m’obéir encore. Une dernière fois. J’ai marché doucement vers la plage. Et je me suis effondrée, encore à moitié dans l’eau. Je sentais le liquide salé entrer en moi, là ou le sang sortait. Quelqu’un a couru vers moi ; Je savais que c’était fini. C’était arrivé vite. Une sensation de froid m’envahissait lentement, alors que le soleil essayait de me réchauffer. La personne est arrivée jusqu’à moi. Je me suis concentrée et ai levé la tête. ‘’Il n’y a rien à faire.’’ Elle ne voulait pas y croire. On m’a porté jusqu’à une dune de sable sec. Le sable se mêlait à l’eau à l’intérieur de moi. Je voulais garder les yeux ouverts. Jusqu’au bout. //

            C’est étrange de se réveiller en se pensant mort. Vraiment. Drôle d’effet. J’ai re-rêvé de la mer turquoise et des vagues ensuite. Et d’une plage de sable fin, blanc ocre. Je ne me suis pas levée pour le lever de soleil. J’ai regardé depuis l’abside de la tente les nuages se colorer en rose, puis un bout des contreforts, la pointe Poincenot (dont Alexandre a rêvé qu’elle tombait). Xavier, Manue et Mathieu sont allés aux ‘laquets’. Le rose a été très … court. Illumination, darkness, ré-illumination, absorption par une nuée grise (qui s’avérait être un lenticulaire, mais il n’en avait pas tellement l’air, depuis la tente… hum). Puis plus grand-chose. A part le démon cracheur qui nous souffle violemment dessus. 

            Mathieu est revenu, François a émergé et a cherché et fait chauffer de l’eau, j’ai bu mon thé et mangé ma compote lyoph. réhydratée tiède (assez bon) alors que Xav et Manue revenaient. On a commencé à remballer assez tard, fini encore plus tard. Etrange de quitter ce lieu. J’ai envie de manger quelque chose, mais pas (du tout) envie de retrouver la ville (même petite) et la foule. Je crois que l’envie de manger est même reléguée au second plan. … Mais bon. 

 
11h. C’est parti… La violence du vent augmente, les arbres sont encore multicolores, mais la transition automnale a avancé. Beaucoup. Même météo qu’à mon premier retour à El Chalten, bourrasques encore plus violentes peut être. J’ai parfois du mal à avancer et à respirer. Les messagers siffleurs sont de retour. Je m’énerve toute seule, j’ai envie de leur crier dessus parfois. On est tous partis ensemble mais le groupe s’est disloqué dès l’apparition d’une sorte de bécasse au long bec dans les marais. Pas très farouche, mais pas assez téméraire pour prendre la pause. S’en suivent croisements divers, je dépasse Xavier, qui me dépasse, que je retrouve alors qu’Alex et Mathieu se sont arrêtés à côté de la rivière aux tons pastels, je rattrape Manue enfouie dans les buissons sur la rive de la même rivière ; François est toujours loin devant. On (Manue et moi) le retrouve affalé dans une plante verte méconnue.


Je retrouve la cascade devant le Fitz Roy (qui a disparu). On y descend en laissant les sacs au bord du chemin pour que les trois garçons manquants nous retrouvent, et on tente quelques images, moi tenant le trépied à deux mains (limite suspendue dessus) alors que le vent essaye de me le prendre, souvent par surprise (traitre). Je l’injurie un peu, de toute façon on n’entend rien. Changement de batterie au bord d’un monticule rocheux avec le trépied sous le coude droit et l’appareil sur le genou gauche pendant que les filtres s’envolent et que je penche de façon inquiétante vers le bord. Mh.
Le sommet de la forteresse, avec ses dalles lisses et ses fissures, apparait rarement. Sorte de fantôme, de rêve hallucinatoire. On fini par remonter trouver nos sacs ; … pas de garçons (mmh ?) Ils sont où ? Ils auraient du remarquer les sacs et comprendre… ou alors ils ont tracé vers la ville… On ne sait pas. On repart.


Je raconte mes rêves louches à Manue, François a pris le large. Elle manque de se prendre une splendide gamelle grâce à un auto-croche-pied d’une efficacité rare, en traversant une des forêts chaotiques de bonzaïs géants aux feuilles miniatures. Des bonzaïs serrés (toujours le questionnement arbre = buisson ? (ou pas ?), des bonzaïs espacés, des grands, des petits, des touffus, des larges, des squelettiques, des hauts ; puis les touffes piquantes, la vue sur la vallée (qui me fait toujours songer à l’Islande), les rideaux de pluie qui nous poursuivent, les arbres verts, les touristes, les familles, une fille avec mini jupe, sandales et sac à main en faux croco brillant (moche), la dernière forêt et François à moitié endormi dans l’herbe. Et toujours pas les autres. Je commence à m’inquiéter pour le genou de Mathieu, j’espère qu’il n’y en a pas un qui doit porter sa charge.
Et d’un côté, ils pourraient être déjà à l’auberge. On a parlé de patates rôties. J’ai faim. On y va.


Chambre 6 (pas 9 comme la dernière fois) ; Alexandre arrive en 3ème position, Mathieu un peu plus tard. Enfin Xavier. Les chaussures sont posées sur le rebord de fenêtre, on est allé manger des empanadas dans une boulangerie alors que le vent se levait pour de bon.
Fin de la caisse commune, début de la fin pour moi. Je leur dois 410$. Gnarg. Ça ne servait à rien de prendre moins de choses ou des choses moins chères… (Pfff). J’en ai marre... Quand est-ce que je gagne au loto pour pouvoir inviter tout le monde ?! Gné. GN. Les 500$ que j’avais sortis ont donc déjà disparu, il faut que j’en ressorte, pour payer le bus, LES bus, les auberges, les courses, … 60$ Calafate, 75$ Puerto je crois ; 60$ x 2 pour l’auberge + celle de François … (> plus de 255$, déjà).

On a fait la lessive, je suis retournée chercher de l’argent ; j’ai fait les courses petit déj. pour Alexandre et moi (il était resté à l’auberge) alors que les autres sortaient du magasin ;... c’est la tempête dehors. Des rideaux de pluie, vagues déferlantes en lévitation, tout qui s’envole, portes qui claquent. On a réservé pour un restau. Je suis vraiment plus économe seule. Il faut que je me raisonne et me décide d’aller manger mon riz à l’auberge seule, mais j’y arrive pas, c’est plus sympa avec l’équipe ; enfin ça ferait un peu nombriliste, j’en sais rien, je ne sais pas ce qu’on penserait de moi ; que je suis grippe-sous peut être et râle sur le moindre euro. Je n’ai pas envie de ça. Je suis un peu partagée (écartelée). Tsss (idiote).
Depuis l’auberge, on contemple le chaos ultime, le lenticulaire en anneaux qui semble projeter sa colère depuis les contreforts du Fitz Roy ; les arbres qui ploient, les murs qui vibrent, les fenêtres qui tremblent à l’idée de se faire briser, les tourbillons de poussière qui s’élèvent (les chaussures qui prennent un peu l’eau).


On est allé manger. Ils ont tous pris une entrecôte, pommes de terre et légumes. Moi une salade. Je le ferais rôtir à la broche, cet arnaqueur ... Voleur. Hm. J’ai gouté le tiramisu d’Alexandre. C’était bon. Mmh. Mais bon. Ils payent le vin. C’est déjà bien. Il faudra que je leur paye une bouteille, un jour. Au retour…
 J’ai envie de faire un tiramisu. Je vais voir peut être, si je trouve du mascarpone… Tiraillée entre cette envie de me faire plaisir, et de faire plaisir aux autres surtout, et cette obligation de ne pas dépenser. C’est fatiguant. Je m’en veux, en plus. C’est encore plus fatiguant.

La pluie s’est calmée mais pas le vent. On ne pouvait payer qu’en cash au resto, j’ai avancé 400$ aux autres. En plus de ma salade à 30$. J’aimerai tellement ne pas avoir à compter… On est allé dormir, j’ai mis Apocalyptica en sourdine et je me suis serrée dans mes bras. J’ai attendu longtemps. J’ai fini par éteindre la musique. Et par sombrer.

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