jeudi 5 décembre 2013

Ce que le Jour doit à la Nuit.



       Dans les multiples pensées et songes qui s'entrechoquent dans l'espace élastique qui précède le sommeil, il y a eu parmi tout le reste deux images... Des images citadines, des images modernes.
On cherche à effacer les cycles et à tout maitriser, jusqu'à l'alternance des nuits et l'heure où le ciel s'éveille...

       La première, c'était une maison. Une maison quelque part dans un champ, avec ses volets de bois peint. Elle s'est métamorphosée avec cette facilité des choses impalpables... un appartement quelque part, avec ses volets de plastique gris. Cette nuit artificielle, qu'on crée quand on veut... On ne sait plus quand le soleil est levé, ce n'est plus un rayon chaud qui vient nous réveiller, ou une lumière timide sous un ciel de neige... Non. On décide. Le jour ne viendra que quand on voudra bien se lever. On a chacun notre propre jour.
       La deuxième, c'était un lampadaire. Pas une bougie, pas quelque chose d'artisanal, de naturel. Le lampadaire dehors, devant ma fenêtre, en forme d'entonnoir lumineux surmonté de son chapeau chinois. Avec sa lumière fixe, pâle et immobile. La journée artificielle qui vient toquer aux battants de nos nuits imaginaires... Les étoiles n'ont plus d'emprise, le Ciel ne doit plus décider.
On contrecarre nos propres règles, on crée le jour pour ne plus avoir de nuit, on crée la nuit pour se protéger de notre jour....

       Depuis quelques heures, il y avait une lumière étrange dehors. Elle imbibait tout de quelque chose de curieusement rosé. J'ai regardé vers le haut entre les rangées d'immeubles, mais les nuages restaient gris, imperturbables. Ils défilaient, vite, pressés, imbriqués les uns dans les autres.
J'ai repris mes feuilles, et j'ai baissé la tête.

       Mais la lueur s'est intensifiée. J'ai regardé à nouveau, il y avait quelque chose qui recouvrait les murs, qui se reflétait dans les pare-brises, qui étreignait le monde. En haut, un voile rosé étendait son filtre devant le soleil, qui a du voir nos vies en rose pour une fois. Les nuées entrelacées dansaient devant cette étoffe céleste sur une gamme infinie de gris-bleutés. J'ai eu envie de sortir, .. et puis finalement j'ai juste ouvert grand la fenêtre pour admirer. Les gens qui avancent en regardant le sol bétonné n'ont pas conscience de ce qu'ils loupent.
       Et puis j'ai rentré la tête dans la confortable chaleur du radiateur, j'ai re-repris mes feuilles et j'ai baissé la tête.

Il a commencé à faire sombre. J'ai eu envie de fermer les volets, qu'il fasse nuit tout de suite, que personne ne puisse voir l'intérieur de mon chez moi qui n'est pas à moi, qu'on n'en parle plus.

       Mais j'ai regardé en l'air. Le ciel s'était paré pour une ultime révérence avant de céder à la nuit son domaine. Ses bijoux de feu luisaient dans une palette dégradée de rouges et de jaunes, ornements éphémères d'un cycle presque éternel. Chaque nuage avait son collier coloré, vif, magique... Ils ont offert un défilé fugitif à ceux qui savent regarder... Et une toile sombre a progressivement recouvert notre monde.

Le jour n'avait même pas soufflé son dernier éclat qu'une luciole blanche s'est allumée dans le cornet de verre et de fer en face de la fenêtre. Ses compagnes ont cligné des yeux une fois avant de se stabiliser et de prendre de l'assurance. Le cortège anti-nuit vient de s'éveiller. Les étoiles citadines prennent le relais de l'astre solaire jusqu'à son retour.... Notre cadeau à nos semblables pour éclairer nos nuits trop sombres...

Et je ferme les volets pour m'enfermer dans mon propre jour.

samedi 9 novembre 2013

Rien.

Un monde où plus rien n'a de valeur ... voilà ce qu'on construit et ce que l'on veut laisser.

Un monde de tentations, de déculpabilisation -et de culpabilisation. J'en ai marre de sentir l'odeur attractive de plats préparées avec de la viande d'êtres qui n'ont jamais vu la lumière du jour. Marre que des publicités me fassent envie à chaque coin de rue. Ne pas y succomber et rester sur sa faim, profiter des absurdités qu'on veut nous vendre et se sentir coupable des conséquences. Marre d'entendre des gens clamer leur impuissance à changer quoi que ce soit, leur aversion à modifier un temps soit peu leur manière d'agir, parce que "de toute façon, ça ne changerait rien".

Tout est relégué à la même valeur. Un seul plan. Selon un nombre absurde d'amis virtuels qui ne nous connaissent souvent pas, un ongle cassé sera plus plaint que la perte d'un frère, un retard de payement suscitera plus d'empathie qu'un génocide, une pétition contre l'augmentation d'une écotaxe aura plus de poids que la lutte pour la préservation d'un espace plus que millénaire.
La Vie n'a plus d'importance. Pas une vie, non, La Vie. Ce devrait être sacré. Chaque être est bien peu de chose et tout à la fois bien plus que l'on peut imaginer.  On utilise le vivant comme s'il n'avait pas son existence propre et qu'il nous était asservi. Un esclave, entravé, ... normal, nous sommes l'illustration de l'être suprême, tout nous appartient.
On est ce qu'on possède, plus on a, plus on est admiré. On cherche même à dompter le temps et les éléments.

Je dirai juste qu'en agissant comme ça, on est des moins que rien.