jeudi 7 juin 2012

20 mars. 


            Je me suis vite endormie, avec mes bruissements de sac de couchage. Réveillée vite aussi, quand le vent s’est levé. Rendormie un peu, en plusieurs fois.
            //Je devais passer des tests chez mes grands parents. Je ne sais pas de quoi. J’étais devant la fenêtre de la cuisine, devant une table à repasser et quelqu’un qui repassait. Les arbres au dessus de la colline n’avaient plus de feuilles et bougeaient beaucoup avec le vent. J’ai voulu les prendre en photo, j’ai cherché le trépied. Ma tante à qui j’ai donné mon premier appareil photo a commencé à me dire pleins de termes techniques, ‘’à tu veux faire ça, c’est cool, moi j’utilise cette ouverture là ; …’ J’étais toute contente qu’elle s’intéresse à ce que je fais. On est allées dans le salon, les volets étaient à moitié fermés ; et elle m’a dit qu'elle aimerait bien que je vienne quelque part avec elle.
            Je suis sortie, j’ai marché jusqu’à la cour d’une école. Pour me changer les idées, j’ai décidé de jouer au loup avec les enfants. Il y avait un gamin tout petit tout seul. Je lui ai proposé de venir jouer aussi. Il a hésité, puis s’est approché. Il a couru vite, a emmêlé ses jambes maigres et est tombé. Il m’a dit qu’il avait très mal au genou et s’est mis à boiter. J’ai regardé, il avait un bleu, rien de catastrophique. Ca lui faisait toujours ‘’très mal’’, il est allé s’asseoir.
            A peine ai-je eu le dos tourné qu’il marchait tranquillement sans boiter. Je l’ai rattrapé et lui ai dit que s’il n’avait pas envie de jouer, ce n’était pas grave, pas besoin d’inventer des fausses excuses inquiétantes… Il a répliqué qu’il n’avait pas le temps, il avait sa famille à nourrir ; s’est transformé en oiseau ( !) et s’est envolé. Du coup je suis montée dans un arbre pour voir ou il allait, j’ai vu son nid ; il m’a dit qu’il avait voulu essayer, voir comment les humains faisaient et qu’il fallait que je descende vite de là sinon j’allais le faire repérer.
            Je suis descendue. Branches, puis escaliers, jusqu’à un garage ou des gens faisaient de la slackline. J’ai commencé à en faire aussi. Du monde est arrivé, s’est assis à des tables qui n’étaient pas là avant ; un tableau que je n’avais pas vu était accroché au mur du fond. Une prof de maths est entrée et a rendu des copies. Je ne sais pas combien j’ai eu, mais Romain, le premier de la classe au lycée (avec moi au départ) avait 5/5. Il devait venir m’expliquer des choses que j’avais parfaitement comprises ; sauf que je ne les avais pas jugées très importantes, pas tout appris. Il a été félicité par tout le monde, invité à montrer ses copies de l’année précédente, et à m’expliquer ce qu’il fallait faire… Je me suis demandée s’il faudrait que je passe un an à apprendre par cœur des livres de maths pour être reconnue dans un domaine. //
            Ca, c’est la preuve que j’ai dormi.
            Le vent faisait un bruit impressionnant. Parfois, le silence. Et parfois, la tempête. Les branches qui se secouent au dessus du camp, les feuilles qui vibrent ; les rafales qui passent et s’éloignent, l’une après l’autre, inlassablement. Une clarté abstraite est apparue un peu avant que mon réveil ne sonne, vers 7h. J’ai passé un moment à m’interroger sur l’intérêt de sortir, puis j’ai enfilé mes chaussures et j’ai couru à la plage. Je me suis assise dans l’attente d’un lever de soleil qui n’est pas venu.




            Au bout d’un moment, la divinité inconnue, le colosse de pierre s’est quand même un peu éclairé ; frôlé par un nuage qui remontait le long d’une de ses falaises verticales. Encore un peu plus de vent et ce sera possible de surfer sur le lac Capri.




            Je suis revenue à la tente. J’ai vu un couple au bord de l’eau, tout près l’un de l’autre dans leurs sacs de couchage. J’ai trouvé ça beau. Le thé est encore tiède (je me suis dégelé les doigts avec, enfin j’ai essayé). Je vais chercher mes chocapics ! J’avais oublié que j’avais un petit déj. ‘grand luxe’.
            Lait en poudre reconstitué avec du thé tiède = améliorable. La matinée est bien avancée, je vais tenter de tout ranger et d’y aller.






            Heu… y’a un oiseau qui essaye de manger ma tente ! Il est tout p’tit, mais il s’accroche aux arceaux et picore les ficelles. C’est fou ça !


            Il est parti vite. Je n’ai pas bien pu le prendre en photo, mince. Des séracs sont tombés, au loin. Un gars du parc vient de m’énoncer les consignes ici, les toilettes, les problèmes de mulots, qu’il faut accrocher la nourriture mais pas dans des sachets plastiques, qu’on n’a pas le droit de dormir à Rio Blanco (gné). Je vais aller à Poincenot, poser le sac, voir s’il y a du monde au Rio et j’aviserai. Si j’arrive là bas le soir, ça ne posera surement pas trop de problèmes… enfin à voir, s’il y a des grimpeurs (ou pas). Au pire, je dirai que je monte au Cerro Madsen.
            (A retenir : tente = carpa.)

 (hier = 6 ; aujourd'hui = 7 )

            Je crois que mon corps a commencé à s’habituer au poids du sac, un peu. Mes épaules pas encore. J’ai pris plein de détails en photo, des feuilles, des arbres incroyables dans cette immensité… Des nuages de fou jouent avec le Fitz Roy (Big stopper… Arg !). Peut être tenter un time laps manuel. Mmh. Les nuées remontent les parois à toute vitesse pour s’effilocher en atteignant les pics. Il n’existe pas d’adjectifs pour décrire ça. Je suis devant une superbe cascade. Je l’ai entendue depuis le sentier, grâce au vent. J’ai laissé mon sac et je suis venue. Dès que j’ai vu d’où venait le bruit, j’ai su que c’était la cascade que j’avais vu en premier plan sur une photo. Et j’avais raison… Le fracas de l’eau, la folie des montagnes, les couleurs des arbres/buissons. Tout est tellement fou….. J’ai essayé des poses longues à la main et je suis retournée chercher le trépied. Et la robe. … Je me suis fait un tas d’écorchures en cherchant un passage moins profond pour traverser le torrent. Mes chaussettes sont trempées, elles essayent de sécher au soleil. J’ai des bleus un peu partout ; mais tout ça n’a pas d’importance. J’ai adoré ces moments, avec la robe au dessus de la cascade et devant le mont titanesque ; à essayer de traverser le cours d’eau malgré le courant. Le trépied tiens en équilibre grâce à un assemblage douteux d’enroulement de sangle de sacoche autour d’une patte, la sacoche est elle-même accrochée abstraitement à un buisson avec le sac de la robe…. WAHOUOU ! C’est génial.




            J’ai de la chance que mon sac soit encore là ! Ca fait 2h que je l’ai laissé tout seul. Je mange sans faim un petit pain et deux tranches de fromage. Je me nourris surtout de la folie des éléments. Il faudra que je songe à sortir la crème solaire des tréfonds du sac ce soir… je vais essayer d’arriver à ce camp Poincenot ! Peut être Lago de los Tres pour le coucher de soleil ?... (Il est 15h43 ; je suis partie à 12h40. Hahahah.)  



         
            17h09 (Hm.) Camp Poincenot. Il y a des tentes. Beaucoup. Trop. Je vais planter la mienne et aller voir au Rio Blanco. Peut être au lac aussi. Je n’arrive pas à savoir quel temps il va faire. ‘’Invocation de la vision omnisciente !’’ Ah on peut pas ? Flute alors. La météorologie est une science exacte que même les météorologues ne maitrisent pas. Alors bon. Pour l’instant, il fait beau, globalement. Soleil, ciel bleu parsemé de petits tas cotonneux, peu de vent. Des nuages énormes sont stationnés derrière les montagnes (tout près). Ils sommeillent. Un rideau de pluie arrive en diagonale dans un vallon glacière vers la droite.
            C’est drôle, à l’emplacement à côté de moi, tout au bout du camp, il y a une petite tente verte toute seule… une jeune fille vient d’y revenir, avec une casserole d’eau et un carnet à la main. Seule aussi.
            (J’ai monté la tente.) Elle se cuisine de la soupe et des pâtes ; et a mis une doudoune. Elle a aussi un de ces bols en accordéon dont les mulots raffolent. Un homme vient de venir me demander si j’ai besoin d’aide. C’est gentil, mais pour l’instant, non.
            Une autre fille est arrivée. Elle a planté sa tente tout près ; et discute fort en anglais avec la première qui rie à gorge déployée. Puis des gars, qui ont posé leur tente de l’autre côté par rapport à moi. Ils ont tous l’air de se connaitre là autour. Ils se saluent et parlent bruyamment. Ca efface un peu la relation avec mon idéal de pureté et timidité.
            Je suis allée chercher de l’eau en bas. Courir avec des baskets fut un bonheur intense et inaltérable. J’ai même réussi à ne pas tomber dans le ruisseau. Il y a des emplacements mieux en dessous, à la lisière de la forêt, plus près du ‘fleuve’. Plus facilement inondables mais indemnes de présence humaine. Mais je ne vais pas tout démonter maintenant.
Des résidus de pâtes aux formes diverses nagent paisiblement dans ma casserole. Ils tournoient vers le milieu. Mais ça va être bon ce soir. Soupe aux vermicelles...! Avec des grumeaux ! Que du bonheur…



            Il semble que ces pâtes aient une volonté propre de se transformer en bouillie. Le premier bol n’était pas gastronomique, mais avait une convenance à peu près convenable ; le temps que je me resserve … mh. C’est pas difficile de faire mieux qu’hier, heureusement. La brise emporte des relents de jazz, trompette, cor, tuba ; harmonica et contrebasse, de temps à autre. Cette nuit, j’aurai du mal à me sentir seule !
            Il y a même du rap maintenant. AAARG Ca ne va pas du tout avec le paysage ! La forêt de titans, le lichen chevelu, le bruissement du vent, le ronronnement du fleuve ; les coups de tonnerre des chutes de séracs… ! J’en ai marre, je vais marcher. Je laisse tout là, je m’en vais. M’immerger dans le paysage.




            Revoir la cabane a été une émotion impressionnante. J’ai eu envie de m’asseoir devant et de m’endormir là. J’aurai peut être du. C’était désert ; personne. J’ai ouvert la porte. Il faisait sombre. J’ai distingué la barre de tractions bricolée avec un bout de bois et deux cordelettes ; les tables en bois ; dans un coin le pot dans lequel on avait fait un feu, à nouveau rempli du vieux jeu de carte. Une planche avec une bougie consumée, les étagères en planches. Les fenêtres en plastique troué. Tout était parfait. Dehors, la forêt, sombre, emplie de troncs couchés. Le même arbre mort avec des panneaux vides. Les quelques emplacements, entrain d’attendre patiemment les alpinistes ; peut être jusqu’à l’année prochaine. Il faudrait que j’aille là bas demain. Mais ce serait la solitude absolue. Je ne sais pas encore.
            Le chemin pour le Lago de Los Tres monte d’abord doucement. Je l’ai suivi un peu. On apperçoit vite les laguna Madre y Hija, et la moraine titanesque du glacier dont je ne connais pas encore le nom, de l’autre côté. J’ai rebroussé chemin quand les nuages au dessus du Fitz Roy ont perdu leur éclat. Le même oiseau qui picorait la tente ce matin me regardait depuis la branche basse d’un bonzaï géant orangé tout proche. J’ai fait toute la descente en courant, quasi sans retenir ; de plus en plus vite. Les cailloux, les escaliers… J’étais au campamento Rio Blanco en deux minutes. Je serai sans doute arrivée en 6-7min à la tente (et civilisation touristique) si je n’avais pas ralenti pour écouter les oiseaux et les rivières chanter.
            Plus de jazz, mais une sorte de musique de fond, derrière les discussions. Il fait quasiment noir. Je vais aller me coucher, peut être avec ma musique. J’ai suspendu la nourriture à une branche morte, très basse, pas trop j’espère. Demain réveil à 4h. Si le ciel est clair, j’aurais peut être la motivation pour monter sous les étoiles… sinon j’attendrais.


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